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Ecritures du "je"

Les écritures du « je », ouvrage coordonné par Marie-Hélène RoquesCollection Parcours didactiques, Paris : Bertrand-Lacoste, 2006, (269 pages).


 

Cinq ans après leur précédent ouvrage (L’autobiographie en classe, Delagrave, CRDP Midi-Pyrénées, 2001), les auteurs reprennent et approfondissent leur réflexion à partir des données théoriques nouvelles et des récentes publications en matière d’autobiographie. Ils soulignent d’emblée l’impasse dans laquelle les professeurs de français sont placés entre l’exigence institutionnelle d’enseigner l’autobiographie inscrite au programme de la classe de troisième depuis 1999 et l’obsolescence des manuels dont les présupposés théoriques sur ce point particulier ne sont plus d’actualité. Ecrits pour la plupart d’entre eux à partir des toutes premières analyses du genre autobiographique de Philippe Lejeune[1], les manuels en usage dans les classes ne tiennent pas davantage compte de l’évolution rapide du genre du point de vue de l’édition. Par exemple, ils ne mentionnent pas les œuvres « indécidables », comme celles appartenant à l’autofiction, publiées au cours des dernières décennies.

 

Pour les auteurs, « l’incertitude générique » de l’autobiographie conduit donc à repenser l’enseignement/apprentissage de cette notion. Plutôt que de définir le pacte autobiographique comme une donnée fiable alors qu’il ne s’applique qu’à une partie des autobiographies, il s’agit désormais de mettre l’accent sur la didactique de la réception et d’engager les élèves dans une réflexion sur le pacte à partir de leurs lectures personnelles et des analyses d’ouvrages conduites en classe. Pour ce faire, les auteurs invitent les enseignants à se tourner vers la littérature de jeunesse, d’une part en raison de la richesse du corpus qui permet d’aménager des parcours de lecture adaptés aux lecteurs d’aujourd’hui, mais surtout parce que, d’autre part, elle propose un grand nombre de romans à la première personne.

        

L’autofiction, ainsi désignée par Doubrovski lorsqu’il y a détournement du pacte autobiographique, fait l’objet de la première partie de l’ouvrage. Elle y est définie comme la forme postmoderne de l’autobiographie. Souvent considérée à tort comme plus mensongère que l’autobiographie, l’autofiction en serait en fait la forme explicite en favorisant la mise en place d’un dispositif d’écriture ouvert à l’altérité. La pratique de la fragmentation et de la rupture, la manifestation inattendue de l’inconscient, la contradiction, le clivage, la dualité… sont parmi les choix discursifs les plus représentés dans l’autofiction.

 

Dans la deuxième partie, les différents objectifs d’apprentissage : effets de l’écriture blanche sur le lecteur, valeur thérapeutique de l’écriture de soi, sincérité et mentir-vrai, implication et distance… sont analysés du point de vue théorique et déclinés en propositions didactiques diverses : séquences, groupements de textes, lectures cursives... Les séquences  comme « Guerre et je » pour interroger la nature du lien entre auteur et lecteur ainsi que la sincérité des auteurs au travers des dédicaces, ou encore comme « Mémoire des sens » qui décrit une situation d’écriture de soi à partir d’objets déclencheurs de souvenirs d’enfance (carambars, sacs de sable, photographie, poème sonore…)... offrent des parcours didactiques et pédagogiques convaincants, cherchant à lever les éventuelles réticences des enseignants à faire écrire les élèves sur des questions intimes. Les professeurs doivent comprendre que, dans les écrits demandés aux élèves, l’accent ne doit pas être mis sur le souvenir narré mais sur le style utilisé pour le présenter. Les auteurs prolongent là encore les réflexions amorcées dans leur premier ouvrage sur la place et le rôle de l’écriture et de la réécriture dans la problématique du « je ».

        

Le chapitre suivant débute par la retranscription de la mise en place du carnet personnel en classe de troisième. Défini sur le mode de l’échange entre l’élève et le professeur, le carnet est alimenté de diverses manières : librement par les élèves qui y consignent leurs impressions de lecture; sous l’impulsion du professeur qui, à intervalles réguliers, les engage dans des écrits réflexifs sur les apprentissages reçus en cours de français. Par ailleurs, il s’agit aussi de penser le carnet comme une base de références « braconnées » dans les textes d’auteurs ou dans des reproductions d’œuvres plastiques et dans laquelle l’élève pourra puiser pour nourrir ses écrits personnels. La deuxième expérience concerne l’écriture de dédicaces à la manière de … et montre l’intérêt de « forger sa pensée sous la tutelle des aînés, poètes et écrivains, avant de prendre son envol ». Le chapitre se termine sur la présentation d’un atelier d’écriture autobiographique en classe d’accueil et sur une expérience intergénérationnelle d’écriture de soi qui témoignent de la diversité des approches pédagogiques proposées.

 

La dernière partie est consacrée à la formation des enseignants et aborde la préparation au concours d’enseignement, la formation initiale et continue des professeurs à l’écriture à la première personne et la question de la  correction des copies… Le sous-chapitre L’espace autobiographique aux concours  fournit au candidat au CAPES des éléments susceptibles de nourrir sa réflexion didactique. On y trouve un dossier de préparation à l’épreuve orale sur dossier du CAPES externe de Lettres modernes portant sur le préambule des Confessions dans les manuels de troisième. Vient ensuite une analyse des manuels de troisième parus en 1999 et de ceux parus en 2003 sous différents angles: l’exposition de la problématique, la clôture de la séquence, la place de la langue et la préparation au brevet, mais aussi les sommaires et les propositions d’écriture.

 

Une sélection de Cent titres en « je », autobiographies, romans à la première personne et journaux intimes dans la littérature de jeunesse et la littérature à succès, est présentée de manière argumentée en annexe du livre. Classés par thèmes (racines ; racismes, différences ; enfance gâchée, enfance maltraitée ; liberté confisquée ; journaux intimes et romans de l’intimité ; romans graphiques autobiographiques ; pour les douze-treize ans), les ouvrages sont brièvement résumés. Des entrées didactiques sont suggérées. Les textes et extraits d’œuvres analysés au fil des pages sont également reproduits.

 

A noter le souci des auteurs d’établir au fil des pages des liens entre l’école et le collège, le collège et le lycée et d’insister sur la nécessité de poursuivre d’un cycle à l’autre certains apprentissages sensibles comme ceux relatifs à la question de la sincérité par exemple. Destiné autant aux enseignants du secondaire qu’aux formateurs, l’ouvrage a le mérite de proposer une solide contribution tant théorique que pratique au débat soulevé par l’enseignement d’un genre en pleine évolution.

 

 

Christa Delahaye, INRP



[1] Philippe Lejeune publie Le pacte autobiographique en 1975 (Seuil) , réédité en 1996 (Points Seuil) . Il infléchit son point de vue dans les ouvrages moins connus tels que Moi aussi, Seuil 1996 et Pour l’autobiographie, Seuil, 1998.

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