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Jack Zipes, Why Fairy Tales Stick - the Evolution and Relevance of a Genre

Avec cet ouvrage, Zack Zipes poursuit la relecture des contes de fées, ici à l'éclairage d'autres théories : darwinisme social ou génétique textuelle, et s'intéresse aux versions récentes des contes qui ont permis la "relève du genre".

 

Jack Zipes, Why fairy tales stick  (Routlege, 2006).

 

Ce livre complète et renouvelle son ouvrage désormais classique et remis régulièrement sous presse, Les contes de fées et l’art de la subversion (1983), dont la seconde édition de 2006, actuellement disponible en anglais seulement, fut saluée par la critique par la nouveauté de ses interrogations.
Jack Zypes, professeur d’allemand à l’université du Minnesota  et spécialiste reconnu des contes de fées,  relit ici les contes à l’éclairage d’autres  théories, par exemple le darwinisme social, la linguistique ou la génétique textuelle, et souligne que ses analyses, attachées à un corpus européen et nord-américain, sont toutefois transposables à d’autres cultures.
Les deux premiers chapitres rappellent le cadre renouvelé de sa lecture des contes, tandis que les chapitres 3 à 6 s’intéressent à des contes emblématiques ; le dernier chapitre souligne l’importance de la relation entre la tradition et la transformation.

 D’autres approches du conte de fées

 Dans son analyse précédente, Jack Zipes tenait pour assuré que le succès des contes venait de son passage de l’oral à l’écrit, et de son rôle social conservateur et régulateur. Par les mass media, nous sommes d’ailleurs encore largement sous l’emprise des contes. Dans cet ouvrage, Z entend aller plus loin et se demander pourquoi les contes de fées «  marchent » toujours, « ensorcellent » pourrait- on dire et , selon le terme retenu par l’auteur dans l’ensemble de l’ouvrage, se répandent tels des virus dans le monde. Les autres termes scientifiques de l’ouvrage (évolution, dissémination) sont aussi à prendre stricto sensu, et ne désirent pas forcément devenir métaphoriques.
On peut chercher à remonter à l’origine de l’évolution du conte et  Jack Zipes est familier de l’approche épidémiologique de la culture : à la suite des découvertes en biologie moléculaire (gène, ADN), des informations conservées dans le cerveau mais aussi dans les livres peuvent être imitées ou peuvent évoluer. Cette théorie de « l’évolutionnisme culturel » reste controversée quand elle entend s’appliquer au champ culturel, mais elle permet cependant de relancer l’étude des contes. On peut y ajouter les mécanismes socio-cognitifs désormais bien connus. L’évolution du conte de fées dépendra donc de la rencontre entre ses caractéristiques propres et les facteurs environnementaux. L’imitation est sans cesse reformulée par le cerveau comme par la communauté culturelle.
Plusieurs exemples de fonctions cognitives associées à la permanence du conte de fées dans la mémoire humaine confirment pour Jack Zipes l’importance de cette approche scientifique appliquée à ce domaine littéraire : véhiculés par la Cour, par les foyers et les tavernes, les contes ont acquis une forme générique reconnaissable et transformable. L’auteur peut alors relire les grands théoriciens du conte, tels Bakhtine et Todorov, (qui s’intéressent à la constitution du conte comme genre), puis Brian Stock (qui développe l’idée de communauté culturelle) et enfin Jean-Michel Adam et Ute Heidmann, lesquels ont formalisé la théorie de « généricité » : que l’on évoque la production ou la réception du texte, ce dernier n’appartient pas en lui-même à un genre, mais est immédiatement corrélé à d’autres genres. Cette approche est particulièrement fructueuse : elle permet par exemple de lire le Petit Chaperon Rouge dans une optique darwinienne en utilisant les notions de sélection et d’adaptation, renouvelant ainsi les interprétations du conte.

 
Même si le conte de fées appartient à une culture spécifique, il ne connaît pas de frontières, et la différence entre culture populaire et culture littéraire est finalement arbitraire. L’étude du contexte historique permet à l’auteur de rappeler que la plupart des folkloristes et des anthropologistes s’accordent de nos jours sur ce point. Les célèbres travaux de Vladimir Propp ont mis l’accent sur les 31 fonctions de base qui font du conte un genre, tandis que la notion bourdieusienne d’habitus permet de comprendre la fonction des personnages dans le système social édifié par le conte.
S’ils restent déterminants, les travaux de Propp ne concernent que le corpus des contes russes et semble de nos jours ne plus totalement pouvoir rendre compte de tous les types de contes.
Il faut aussi revenir sur la propension à assimiler le succès du conte à la crédulité ou à l’ignorance de son public, enfants et paysans notamment. La société du Moyen-Age, touts classes confondues, était imprégnée du sens du magique et du merveilleux païen comme religieux.
Enfin, il convient de rappeler la place fondamentale des femmes comme agents de transmission du conte, de façon presque paradoxale compte tenu de l’image souvent négative véhiculée par ces récits, mais les autorisant aussi à interpréter le conte, puis bientôt à en assumer le statut d’auteur. A cet égard Boccace, Straparola, Gianbattista Basile puis les auteurs français du XVIIème et XVIIIème siècle (surtout féminins) sont longuement étudiés par l’auteur. En France, le public, mondain et lettré pour une grande part, a favorisé le jeu sur les motifs, les intertextualités et les connivences culturelles, sociales et morales avec l’auditoire, tandis qu’en Allemagne la lecture des contes de fées français dans le texte ne pose pas de problème à un public cultivé, et fut rapidement relayée par de nombreuses traductions, souvent libres. Bientôt, des auteurs germaniques tels Wieland, surent mêler influences française et germanique ; l’apport des contes orientaux ne fut pas négligeable non plus, comme le montrent au siècle suivant les œuvres romantiques de Novalis, Hoffmann et Brentano. Ce dernier, poète et éditeur de contes populaires, ami des Grimm, est une figure essentielle de l’élaboration des Contes de Grimm, qui furent rapidement adoptés et traduits dans toute l’Europe, et relayés par les mass media dans le monde entier.

 Ainsi, au début du XXème siècle coexistent trois courants : le conte «  classique ou conventionnel » - Perrault, Grimm, Andersen- peu à peu édulcoré pour répondre aux attentes de la société, le conte innovant, souvent inventif et parodique, et le conte oral, toujours vivace dans les familles, les écoles et les bibliothèques.


« Il sera une fois »

 Dans la suite de son ouvrage, Zipes examine le « il sera une fois » incessant qui permet  aux  contes de fées d’accompagner la civilisation. Comme l’humanité, le conte évolue et reste efficace, car il est ancré dans notre mémoire collective. Le contexte économique et politique, l’invention de la presse et le développement des mass media on favorisé son caractère hybride, relevant à la fois de l’écrit et de l’oral. Il a naturellement canalisé et formalisé les codes sociaux et moraux de son époque.

 Ainsi, l’on a fait un jour remarquer à Jack Zipes qu’Harry Potter était un avatar de l’archétype du conte de Cendrillon. En effet le conte, par ses enjeux même, est amené à se transformer, assurant ainsi lui-même sa relève. L’auteur considère alors que la question qui se pose à tout écrivain mais surtout à l’auteur de contes de fées, est celle de l’éthique : qui écrit, pourquoi, pour qui ? De fausses happy ends montrent bien que l’auteur peut être dépourvu de sens éthique en éludant les contraintes de notre monde post-moderne. Pour autant, de « il était une fois » à « ils vécurent heureux », devons-nous cesser de penser notre vie comme un conte de fées ? Au XXI° siècle les valeurs morales, éthiques et politiques du conte sont toujours vivaces, car elles sont actualisées dans ses motifs, ses fonctions et ses supports : évoquant le passé, le conte permet d’aborder l’avenir, et c’est pourquoi sa transmission reste assurée. A cet égard, Cendrillon est l’exemple archétypal du conte tant il a été traduit et reformulé. Ainsi, la dernière approche de Martin Daly et Margo Wilson explore le processus défini comme darwinien de l’amour parental, interrogeant les dispositions génétiques qui favoriseraient l’affection des parents envers leurs enfants biologiques.

 L’auteur relit  aussi Cendrillon, La Belle et la Bête ou Blanche-Neige, dont les versions les plus contemporaines, par exemple celles de Tanith Lee (Red as Blood, 1983, Snow Drop, 1993) relancent toute la violence du conte et reposent la question de l’assouvissement des instincts, croisant à l’occasion le mythe de Perséphone (White as Snow, 2000). La même démarche peut être appliquée à Mulan (1998), récit d’apparence novatrice mais répondant aux canons des contes classiques, Belle-Belle ou Le Chevalier Fortuné de Madame d’Aulnoy (1697), narratrice nourrie des contes chinois fort à la mode au XVII° siècle.

 De même, à  la relecture de Barbe-Bleue, Jack Zipes remarque que la révélation du crime ne permet pas d’en résoudre le mobile. Les deux vers ironiques de Perrault à la fin du conte ne permettent pas d’en savoir plus sur Barbe-Bleue. L’auteur s’accorde à penser, avec Maria Tatar (qui s’intéresse aux contes horribles), que le conte pose toutes les questions anxieuses relatives au mariage et nie le happy end du conte canonique ; mais il souligne en outre que ce mariage relève plus du calcul que de la magie : l’union entre un parvenu et une aristocrate désargentée arrange les deux fiancés, et Barbe-Bleue devient la victime de son stratagème.
On a souvent lié ce conte au mythe de Pandore, à l’histoire de Judith et Holopherne  ou à celle de Gilles de Rais. Tous ces éléments ont pu influencer Perrault, mais il appartient aussi au processus de civilisation en mettant l’accent sur le rôle de la femme au siècle de Louis XIV, soutenu par Perrault (son Apologie des Femmes date de 1694) et combattu par Boileau (dont la Satire X paraît la même année) parmi les thèmes débattus lors de la Querelle des Anciens et des Modernes. Ainsi, Jack Zipes spécule que  Barbe-Bleue représenterait Boileau lui-même, affligé d’impuissance à la suite d’une opération chirurgicale effectuée par le père de Charles Perrault : pour conserver son pouvoir sur la femme malgré son infirmité, Barbe-Bleue doit tuer.
Les nombreuses reprises de Barbe –Bleue  mettent plutôt l’accent sur la culpabilité de l’épouse et sur sa curiosité insatiable, considérée comme toute féminine, et assurent le succès du conte dans toute l’Europe, avec notamment  la parodie d’Offenbach (1866) qui fait de la jeune épousée Boulotte la punition même de son époux…

 Un autre conte maintes fois réécrit lui aussi permet à l’auteur d’aller plus loin. Les frères Grimm ont eux-mêmes apporté de multiples variantes à Hansel et Gretel, amendant largement le conte alsacien initial et posant la question de la traduction, médiation nécessaire mais aussi mise à distance du texte originel. L’apport des travaux de Philips, nourris de Freud et de Marx et consacrés aux liens entre traduction et psychanalyse, atteste que traduire permet de révéler quelque chose de soi, et que cette tâche n’est jamais neutre ; d’ailleurs les frères Grimm n’ont cessé, leur vie durant, de reprendre les versions des contes initialement collectés en langue dialectale : ils légitiment ainsi les  réécritures les plus récentes. Même si les contraintes de la mondialisation et de la société de consommation, bien identifiées par Emer O’Sullivan, peuvent aboutir à des versions d’Hansel et Gretel  mièvres et insipides, d’autres parodies (Hanzel et Pretel, Hamster and Gerbil, Nino and Nina) revisitent les valeurs proposées par les frères Grimm et reposent la question de la pauvreté, du sexisme, voire de l’Holocauste ( Tony Kursher, Brundibar, 2003). Quant aux adaptations cinématographiques, nombreuses et de qualités inégales, elles passent souvent à côté de la richesse de sens du conte. En tout état de cause Hansel et Gretel est un « conte sans fin »  puisqu’ aucun des problèmes soulevés dans le récit  faim, peur, abandon) n’est à ce jour résolu.

 

 En guise de conclusion :  manger ou être mangé

 Du mythe de Cronos dévorant ses enfants au théâtre de Brecht mettant en scène le monde capitaliste dans lequel l’homme « est un loup pour l’homme », de l’ogre au cannibale,  la littérature et le folklore reprennent  inlassablement le thème de l’enfant dévoré. Cette dévoration insoutenable a des causes nombreuses, de la famine au plaisir, et fait écho à notre monde caractérisé par l’hypocrisie et l’hystérie, et rempli de « vampires, de tueurs en série et de politiciens barbares ». Un fil conducteur très ancien mérite  donc d’être examiné : il s’agit toujours de manger, ou d’être mangé : nourrissons-nous nos enfants pour les dévorer ou pour en faire des cannibales ? L’établissement des canons littéraires, l’interaction entre les formes écrites et orales des contes renforcent la version du groupe dominant et peuvent servir des intérêts divers, mercantiles ou autres, même si toute tradition déclenche toujours une subversion : Robin des Bois, Barberousse, Zapata – car ce dernier nourrit nombre de légendes mexicaines…La question de la transmission n’est donc pas neutre dans ce cas non plus. Pour autant, une réappropriation du conte est sans cesse nécessaire, dans l’esprit des écrivains allemands qui, tels Ernst Bloch ou Bertold Brecht, revendiquaient le « refonctionnement » des textes pour lutter contre le fascisme, sachant que de leur côté les nazis avaient délibérément investi le domaine des contes selon leurs vues.

 Le passé, même vénérable, peut nous dévorer si nous n’avons pas d’attitude critique envers lui, et nous devons le connaître autant que le réinvestir.

 

Rédacteur : Marie Musset

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